Il y a aujourd’hui trente ans, alors que nous courions sous le nom Benetton, nous étions au cœur de l’un des incidents les plus spectaculaires jamais vus dans la voie des stands en Formule 1.

 

 

La monoplace de Jos Verstappen était engloutie par les flammes, du carburant s’étant échappé lors d’un arrêt de routine au Grand Prix d’Allemagne. Fort heureusement, l’incendie était vite maîtrisé et seules des blessures mineures étaient à recenser.

 

 

Les images télévisées et les photographies du 31 juillet 1994 à Hockenheim nous rappellent que le sport ne peut jamais tenir la sécurité pour acquise, une leçon précieuse pour toutes les écuries.

 

 

Un cliché du photographe Steven Tee est plus étroitement associé à l’incident que tout autre. On y voit Paul Seaby, dont le rôle était de placer la roue avant droite de la voiture, tenter de se défaire des flammes.

 

 

1994 marquait la première année d’un nouveau règlement autorisant les ravitaillements en essence. Les équipes découvraient encore leur équipement, dont les appareils fournis par un tiers.

 

 

Hockenheim était la neuvième course d’une saison déjà endeuillée par les tragédies d’Ayrton Senna et de Roland Ratzenberger à Imola, sans oublier d’autres accidents graves. La sécurité était donc une priorité pour l’équipe.

 

 

« Nous avions eu des problèmes avec la pompe cette année-là et nous ne lui faisions pas vraiment confiance », se souvient Paul. « Certaines personnes ne prenaient pas vraiment les ravitaillements au sérieux, mais notre équipe oui. Je sais que certaines écuries n’avaient pas de tenues ignifugées et ce genre de choses appropriées comme c’était une nouveauté. Et la F1 était alors un sport nonchalant, sans vraiment de réglementation sur le sujet. Nous avions toutefois de vraies combinaisons, des sous-vêtements, des cagoules triple épaisseur et des lunettes de protection. »

 

 

« J’étais à l’avant droit. J’avais le dos tourné à Simon Morley, qui faisait le plein. Jos est arrivé, et c’était juste un arrêt normal. J’étais en train de mettre la roue quand j’ai vu une projection de ce que je pensais être de l’eau, et je l’ai sentie dans mon dos. Puis en une fraction de seconde, je me suis dit : “Ce n’est pas de l’eau, c’est de l’essence”. Et tout s’est embrasé lorsque je me suis retourné. Évidemment, vous cherchez la sortie la plus proche, le garage en l’occurrence. »

 

 

Derrière le ravitailleur Simon Morley, le truckie Martin Pople aidait à porter le lourd tuyau de carburant.

 

 

« Tout est allé si vite », se rappelle Martin. « Il y a eu une grosse explosion et un incendie. L’essence s’est échappée et s’est enflammée avec la chaleur des plaquettes de frein avant et arrière. Ils ont dit qu’il n’y avait eu que trois litres de renversés, mais cela semblait bien plus sur les photos ! Mon premier réflexe a été de m’éloigner, et je ne me souviens même pas de ce que j’ai fait. Le carburant sur ma combinaison était en feu, mais ils l’ont éteint rapidement. Je sais que j’étais en état de choc après. »

 

 

« Steven Tee était visiblement dans le garage », raconte Paul. « Il a pris la photo alors que je courais vers lui. J’étais en feu durant dix-huit secondes, ce qui est assez long, et je roulais par terre. J’ai enlevé ma cagoule et je l’ai jetée. Puis ça s’est rallumé, et Dave “Yosser” Hughes, notre technicien pour les pneus et notre chauffeur de camion, a jeté un seau d’eau sur moi. »

 

 

La course continuait pendant que l’équipe tentait de se remettre du choc. Et Michael Schumacher, l’équipier de Jos Verstappen, était deuxième, prêt à s’arrêter à son tour.

 

 

« Nous nous aspergions là où ça piquait un peu », poursuit Paul. « Puis Joan Villadelprat [directeur de l’équipe] est venu nous demander “Michael arrive, est-ce que vous ferez l’arrêt au stand ?” Nous avons répondu “Ouais, d’accord” avant de réenfiler nos combinaisons. Nous nous préparions quand Michael a dit à la radio que son moteur avait lâché et qu’il allait abandonner. Nous n’avons donc pas eu besoin de ressortir. »

 

 

Jos Verstappen s’en sortait avec des blessures légères, tout comme les membres de l’équipe.

 

 

« Je n’avais que des brûlures légères au visage et à l’arrière des jambes », détaille Paul. « J’avais les cheveux un peu carbonisés, et c’est tout. J’ai eu de la chance. Nous n’étions que trois à aller au centre médical : Simon Morley, Wayne Bennett et moi. Wayne avait une brûlure à la cheville puisqu’il n’avait pas de chaussettes ignifugées. Simon en avait une au visage comme la flamme s’est engouffrée dans son casque alors qu’il faisait le plein. Nous avons été emmenés dans la salle de bain du centre médical. Simon et moi étions dans un baignoire pour partager la douche et refroidir nos brûlures. Wayne était un peu frustré comme sa cheville lui faisait vraiment mal. Il a fini par mettre son pied dans les toilettes et a tiré la chasse pour essayer de se rafraîchir ! »

 

 

Tous ont ensuite eu le temps de faire le point avant la course suivante en Hongrie.

 

 

« La bonne nouvelle était l’abandon de Michael dans la foulée, car nous devions encore faire un autre arrêt au stand », explique Martin. « L’impact psychologique aurait pu être pire. Là, nous avons au moins eu quelques semaines pour nous remettre et reprendre. »

 

 

Sans surprise, Simon Morley n’a plus jamais fait de ravitaillement et a été remplacé par Steve Bird, volontaire pour Budapest. Le reste de l’équipe a conservé ses fonctions.

 

 

« C’était un peu étrange après », admet Paul. « Le premier arrêt de la course suivante était assez émouvant à vrai dire. Je me suis ensuite dirigé vers une bouteille d’oxygène avec un casque. Durant l’arrêt, j’étais le seul à en porter un sans être sur le tuyau. Cela permet de marcher dans un incendie avec une réserve d’air d’environ vingt-cinq secondes. Je me suis dit je pourrais au moins aller sortir des gens avec ça si un incident se reproduisait. »

 

 

Trente ans plus tard, Paul travaille toujours à Enstone. Responsable du support technique de l’équipe de course, il est un chaînon essentiel entre les opérations en piste et l’usine, et il fait des apparitions régulières sur les circuits.

 

 

Déjà ses collègues lors des arrêts aux stands en 1994, Andrew Alsworth et Tim Baston sont aussi présents aujoud’hui encore dans l’écurie, respectivement en tant que directeur de l’équipe support de course et coordinateur du showcar.

 

 

Si les ravitaillements en course sont désormais interdits depuis longtemps, Hockenheim a offert une leçon précieuse : en tant que sport, la F1 ne peut jamais accorder trop d’attention à tous les aspects de la sécurité, notamment dans la voie des stands, le garage et le paddock.